Thorium vs uranium : une comparaison directe pour l'avenir énergétique
Découvrez pourquoi le thorium pourrait surpasser l'uranium comme combustible nucléaire du futur
Une alternative prometteuse à l'uranium traditionnel
Actuellement, l'industrie nucléaire mondiale dépend principalement de l'uranium-235, qui ne représente que 0,7% de l'uranium naturel. Cependant, une alternative fascinante pourrait transformer notre approche de l'énergie nucléaire : le thorium-232. Contrairement à l'uranium, le thorium est un élément fertile plutôt que fissile, nécessitant une capture neutronique pour produire de l'uranium-233 et requérant ainsi un matériau fissile initial pour amorcer le processus.
Cette différence fondamentale ouvre la voie à des cycles de combustible nucléaire radicalement différents. En effet, le thorium présente une abondance trois à quatre fois supérieure à celle de l'uranium dans la croûte terrestre [1,3]. Plus remarquable encore, la gestion des déchets radioactifs du thorium offre des avantages temporels selon le type de cycle employé. Dans les systèmes de recyclage optimisés, la radiotoxicité du combustible thorium-uranium-233 atteint des niveaux proches de l'uranium naturel en environ 10 000 ans, comparativement aux 200 000 ans nécessaires pour le combustible UO2 conventionnel [5]. Ces performances s'expliquent par la production significativement réduite d'éléments transuraniens, due au numéro atomique inférieur du thorium (90 contre 92 pour l'uranium) [5].
Une histoire méconnue : pourquoi le thorium a été écarté
Le thorium n'est pas une découverte récente. Dès les années 1950 et 1960, les scientifiques ont exploré son potentiel comme combustible nucléaire, notamment aux États-Unis avec le réacteur expérimental de Oak Ridge. Cependant, malgré des résultats prometteurs, cette filière a été largement abandonnée au profit de l'uranium. La raison principale ? Les réacteurs à uranium produisaient du plutonium, un élément essentiel pour le développement des arsenaux nucléaires durant la Guerre froide. Le thorium, en revanche, ne permettait pas cette double utilisation militaire et civile. Cette orientation historique, dictée par des considérations géopolitiques et militaires plutôt que par des critères purement énergétiques, explique pourquoi l'infrastructure nucléaire mondiale s'est développée quasi exclusivement autour de l'uranium. Aujourd'hui, dans un contexte où les priorités énergétiques se concentrent sur la sécurité, la durabilité et la réduction des déchets radioactifs, il est temps de réévaluer objectivement les mérites du thorium.
Abondance des ressources : un avantage décisif pour le thorium
D'un point de vue géologique, les réserves mondiales de thorium sont estimées à plus de 6,3 millions de tonnes [3,7], tandis que les ressources identifiées en uranium récupérables à coûts compétitifs s'élèvent à environ 7,9 millions de tonnes (Red Book 2023, AIEA/NEA). Au-delà des chiffres bruts, le thorium bénéficie d'une distribution géographique plus large que l'uranium, ce qui pourrait réduire les tensions géopolitiques liées à l'approvisionnement énergétique.
Particulièrement intéressant, le thorium est principalement produit comme sous-produit de l'extraction des terres rares, bien qu'il soit rarement valorisé. Certaines estimations suggèrent qu'un gisement de plusieurs dizaines de milliers de tonnes par an pourrait être récupéré des résidus miniers, mais ces chiffres restent très incertains et dépendent fortement des conditions industrielles et réglementaires [4,6]. Sur le plan énergétique, des analyses montrent qu'une tonne de thorium pourrait, en théorie, fournir une énergie comparable à plusieurs centaines de tonnes d'uranium naturel ou à plusieurs millions de tonnes de charbon* (*Note bas de page : Il s'agit d'ordres de grandeur théoriques et non de performances industrielles démontrées [4]).
Les recherches d'Emblemsvåg indiquent que ces sous-produits de thorium pourraient suffire, s'ils étaient exploités, à couvrir plusieurs fois la demande mondiale annuelle pour des réacteurs nucléaires à thorium [4].
Gestion des déchets nucléaires : une révolution environnementale
Concernant la gestion des déchets radioactifs, le thorium présente des avantages environnementaux considérables. La radiotoxicité des déchets issus de cycles au thorium atteint les niveaux de l'uranium naturel en environ 10 000 ans, comparativement aux 200 000 ans nécessaires pour le combustible conventionnel à l'uranium [5]. Cette performance s'explique par la production significativement réduite d'éléments transuraniens, liée au numéro atomique inférieur du thorium [5]. Conséquemment, la production totale de plutonium est réduite, parfois d'un facteur proche de trois par rapport au combustible conventionnel des réacteurs à eau pressurisée [5].
Sécurité et résistance à la prolifération : des atouts majeurs
En matière de sécurité nucléaire, les réacteurs au thorium offrent des caractéristiques intrinsèques remarquables. Grâce aux propriétés du combustible liquide dans les réacteurs à sels fondus et aux systèmes de sécurité passive (coefficient de réactivité négatif, dispositifs de vidange par « freeze plug »), le scénario classique de fusion du cœur est fortement réduit [2,4]. Cela représente une amélioration significative par rapport aux réacteurs actuels, même si d'autres risques (perte de confinement, gestion de la chimie des sels) doivent toujours être pris en compte.
Du point de vue de la non-prolifération, l'uranium-233 produit est contaminé par de l'uranium-232, un émetteur gamma intense de 2,6 MeV, ce qui constitue une barrière naturelle contre le détournement [4]. Cette radiation gamma pénétrante complique considérablement tout développement d'armements, car les systèmes au thorium nécessitent une manipulation à distance [3].
Défis techniques et perspectives d'avenir
Malgré ces avantages considérables, l'adoption du thorium comme combustible nucléaire de référence présente encore des défis techniques. Premièrement, les limitations actuelles de l'infrastructure nucléaire mondiale, conçue principalement pour l'uranium, représentent un obstacle à court terme. Deuxièmement, les exigences initiales plus élevées en matériau fissile pour amorcer les réactions au thorium constituent un défi de déploiement [6].
Néanmoins, ces obstacles techniques ne diminuent en rien le potentiel du thorium. L'abondance des ressources, trois à quatre fois supérieure à celle de l'uranium, combinée à des exigences de stockage des déchets à long terme considérablement réduites, positionne le thorium comme une solution d'avenir. Les avantages en matière de sécurité, incluant les systèmes de sûreté passive et la résistance inhérente à la prolifération, renforcent encore davantage son attractivité, bien que des défis subsistent.
Bien que les analyses techniques aient identifié des défis liés à l'utilisation du thorium dans les cycles ouverts traditionnels [6], cette observation renforce plutôt l'argument en faveur du développement de technologies avancées. L'avenir du thorium réside dans les systèmes à cycle fermé, qui permettront de libérer tout son potentiel énergétique et environnemental.
Vers un avenir énergétique durable
En définitive, le thorium représente une opportunité technologique fascinante mais complexe pour l'industrie nucléaire mondiale. Avec une abondance naturelle quatre fois supérieure à l'uranium, des avantages démontrés en matière de réduction des déchets radioactifs et des caractéristiques de sécurité intrinsèques prometteuses, cette alternative mérite une attention soutenue de la communauté scientifique et industrielle.
Les défis techniques, économiques et réglementaires demeurent substantiels. L'adaptation de l'infrastructure existante, le développement de technologies de retraitement avancées, et la nécessité d'investissements considérables sur plusieurs décennies constituent des obstacles réels qui ne doivent pas être sous-estimés. Néanmoins, ces incertitudes ne diminuent en rien l'importance stratégique d'approfondir notre compréhension du thorium.
Dans le cadre de la transition énergétique mondiale et de la quête de solutions décarbonées durables, écarter une technologie susceptible de transformer la production d'énergie nucléaire constituerait une perte stratégique. Ce sont les efforts de recherche et développement engagés aujourd'hui qui définiront les options énergétiques de demain.
Références
[1] Lobo, Mara C.A., and Giovanni Laranjo de Stefani. "Thorium as nuclear fuel in Brazil 1951 to 2023." Nuclear Engineering and Design, vol. 419, 2024, 112912.
[2] Dwijayanto, R. Andika Putra, et al. "Assessing the benefit of thorium fuel in a once through molten salt reactor." Progress in Nuclear Energy, vol. 176, 2024, 105369.
[3] Chroneos, Alexander, et al. "Thorium fuel revisited." Progress in Nuclear Energy, vol. 164, 2023, 104839.
[4] Emblemsvåg, Jan. "Safe, clean, proliferation resistant and cost-effective Thorium-based Molten Salt Reactors for sustainable development." International Journal of Sustainable Energy, vol. 41, no. 6, 2022, pp. 514-537.
[5] Du Toit, M.H., et al. "Thorium-containing fuel in light water reactors: A comprehensive review of neutronic, thermal hydraulic, and safety aspects." Progress in Nuclear Energy, vol. 170, 2024, 105136.
[6] Ashley, S.F., et al. "Fuel cycle modelling of open cycle thorium-fuelled nuclear energy systems." Annals of Nuclear Energy, vol. 69, 2014, pp. 314-330.